Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

28/08/2007

Les OGM, un choix de politique agricole,

par Hervé Kempf (Le Monde, 22 août 2007)

Une fois encore, l'été aura été dominé, sur le terrain environnemental, par la question des OGM. La polémique a été nourrie par les actions des Faucheurs volontaires en réponse à la multiplication des cultures transgéniques (plus de 20 000 hectares de maïs cette année). Elle a pris un tour dramatique quand un agriculteur du Lot, Claude Lagorse, qui cultivait en secret une parcelle de maïs transgénique, s'est suicidé la veille d'une manifestation prévue le 5 août dans son village de Girac par les anti-OGM. Rien ne permet d'attribuer ce drame à la question des OGM. Mais le retentissement qu'il a eu témoigne de la charge émotionnelle dont est devenu porteur le dossier.

Les Faucheurs volontaires ont poursuivi leurs actions, en cherchant, non pas à vandaliser les champs transgéniques, mais à prélever symboliquement des épis. Cependant, des personnes anonymes ont plusieurs fois détruit les parcelles de cultures de maïs génétiquement modifié. Inversement, des expérimentations menées par des agriculteurs biologiques, et visant à mesurer la contamination due aux OGM, ont été détruites, là aussi de façon anonyme.

Une partie du monde agricole a, de surcroît, manifesté son énervement : on a ainsi entendu Jean-Michel Lemétayer, président de la FNSEA, qualifier le 9 août d'"obscurantisme" la position des opposants aux OGM, la plate-forme des industries semencières a employé le même terme dans un communiqué du 24 juillet, et un autre responsable de la FNSEA, Dominique Barrau a parlé de "tribu africaine" à propos des Faucheurs.

De telles paroles ne risquent pas d'apaiser le débat. Mais elles paraissent à contre-courant d'une réalité qu'expriment les Faucheurs volontaires, quoi qu'on pense de la validité de leurs méthodes, ainsi que la Confédération paysanne, qui fêtait, les samedi 18 et dimanche 19 août, son 20e anniversaire : le refus par la société de se voir imposer des OGM dont elle ne voit pas l'utilité. Cette réalité est bien ressentie par les responsables politiques : les Faucheurs ont gagné une reconnaissance officielle en étant reçus, le 31 juillet, par la secrétaire d'Etat à l'écologie, Nathalie Kosciusko-Morizet. De son côté, l'Association des régions de France, qui représente les exécutifs régionaux, presque tous socialistes, a réaffirmé de manière vigoureuse, début juillet, son refus de voir les cultures d'OGM " imposées en force, sans la moindre consultation".

La question des OGM pourrait d'ailleurs prendre un tour politique plus large, en menaçant le bon déroulement du Grenelle de l'environnement. Au moyen de cette série de réunions avec les associations et les groupes professionnels, le gouvernement entend relancer la politique environnementale, tombée en jachère sous l'équipe précédente. Mais José Bové, la figure la plus visible des opposants aux OGM, reste susceptible d'être emprisonné d'un jour à l'autre pour de précédentes actions des Faucheurs volontaires. De surcroît, ayant prélevé un épi de maïs, le 5 août, à Murviels-lès-Béziers (Hérault), au milieu de deux cents autres manifestants, il s'attend à être convoqué à la gendarmerie de Béziers. Son incarcération - à laquelle il entend donner le plus grand éclat en menaçant d'entamer une grève de la faim - conduirait sans doute plusieurs des plus importantes associations à quitter le Grenelle, ruinant ainsi la crédibilité de celui-ci. Cependant, laisser M. Bové en liberté pourrait apparaître comme une confirmation supplémentaire de la légitimité de son action.

La situation ne serait pas devenue aussi inextricable si les gouvernements successifs n'avaient pas laissé, depuis des années, la situation s'envenimer. En n'imposant pas une procédure d'information des agriculteurs voisins en cas de cultures transgéniques ; en se retranchant en permanence derrière les avis de l'Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) dont la neutralité scientifique est de plus en plus mise en doute ; en n'abordant pas de front la question de la coexistence entre agriculture transgénique et non transgénique ; en passant en catimini un décret - quelques jours avant les dernières élections nationales - permettant les cultures, alors que la loi qui devait le faire n'avait pu être discutée par le Parlement, les gouvernements ont agi de manière qu'il faut bien appeler hypocrite : laisser se développer les cultures OGM, sans jamais donner l'impression à une opinion publique très réticente qu'on les autorisait franchement.

EVENTUELS AVANTAGES

Cette attitude tranche singulièrement avec celle du gouvernement britannique : affichant clairement sa faveur pour les OGM, il a cependant su développer des expertises indépendantes et un débat public réellement ouvert. La situation a ainsi été dénouée - au détriment, certes, des cultures transgéniques.

La complication du dossier des OGM - incertitude quant à leurs éventuels avantages, leur éventuelle nocivité, leur réel intérêt économique - ne facilite pas la décision. Mais il est, en même temps, de plus en plus clair que la question transgénique symbolise le choix plus large d'une politique agricole. Soit une agriculture industrielle, fortement intégrée à l'industrie agroalimentaire, menée par un nombre restreint d'exploitants très performants - et les OGM rentrent dans ce cadre. Soit une agriculture moins intensive, cherchant davantage la qualité que la quantité, soucieuse du respect de l'environnement et de la santé, mais visant aussi à créer des emplois directs - et les OGM sont hors concours.

Refuser de trancher sur la question transgénique tout en les laissant s'imposer - et contaminer toute l'agriculture, affirment leurs opposants -, c'est de facto privilégier l'agriculture industrielle, c'est-à-dire le modèle hypersubventionné et polluant dont on voit aujourd'hui les limites. Il est significatif que la prudente Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), dans un rapport publié en mai, ait pris position en faveur de l'agriculture biologique. Faisant la synthèse des études scientifiques, la FAO écrivait : "L'agriculture biologique a le potentiel de satisfaire la demande alimentaire mondiale, tout comme l'agriculture conventionnelle d'aujourd'hui, mais avec un impact mineur sur l'environnement."

La logique voudrait que l'on écoute les agronomes et que l'on aille vers ce type d'agriculture mieux acceptée par les citoyens, moins coûteuse pour la collectivité et plus créatrice d'emplois. Mais ce serait, sans doute, déplaire aux industries et se libérer de l'obsession de la mondialisation agricole qui, au vrai, se développe surtout, pour ce qui est de l'Europe, au moyen de subventions. C'est en tout cas à ce choix que conduit la persistante querelle des OGM.

Les commentaires sont fermés.