22/10/2007
Mali : Un jury citoyen dit non aux OGM
par Sabrina Costanzo
Les élus locaux de Sikasso ont pris l’initiative d’organiser, en janvier 2006, un Espace citoyen d’interpellation démocratique chargé d’évaluer les avantages et les inconvénients de l’introduction d’OGM dans leur agriculture.
"Une sacrée leçon de démocratie. " Une conclusion qui occulterait presque le verdict formulé par le jury citoyen de l’Espace citoyen d’interpellation démocratique (Ecid), qui s’est tenu en janvier 2006 dans la région de Sikasso, au Mali, sur l’épineuse question des OGM et sur l’avenir de l’agriculture du pays : le panel des quarante-cinq productrices et producteurs participants s’est prononcé contre l’introduction d’OGM dans leur agriculture. L’Ecid est basé sur la combinaison d’une structure de démocratie participative locale, l’Espace communal d’interpellation démocratique, organisé dans la région de Sikasso pour débattre du processus de décentralisation, et d’éléments méthodologiques tirés des jurys citoyens. " Cette expérience a été mise en place suite à la volonté de l’assemblée régionale. Les élus locaux ont d’abord eu l’idée d’organiser un espace d’information et de débat sur les OGM, puis ont décidé d’organiser un débat citoyen structuré avec l’interpellation d’experts sur les risques et les avantages d’une éventuelle adoption des OGM sur les plans scientifique et technique, mais également du point de vue socioéconomique, politique, éthique et culturel ", explique Michel Pimbert, directeur du programme agriculture durable et biodiversité à l’Institut international pour l’environnement et le développement [1], travaillant depuis longtemps au Mali.
La pression des multinationales
La région de Sikasso est en effet au centre d’enjeux agricoles déterminants. Zone de prospérité agricole, elle est surnommée " la deuxième région " (après Bamako) et fournit les deux tiers de la production de coton, source principale de revenus du pays. " Mais la filière coton est en crise, les producteurs n’arrivent pas à écouler leur production faute de marchés rémunérateurs ", rappelle Michel Pimbert. " Dans ce contexte, le pays et les producteurs subissent les pressions des multinationales agro-alimentaires, comme l’américaine Monsanto et la suissesse Syngenta, qui prônent l’industrialisation du secteur agricole et l’ouverture des marchés aux cultures transgéniques, notamment le coton Bt. " Ces firmes bénéficient en plus du soutien d’USAid, l’agence des États-Unis pour le développement international, notamment mandatée pour promouvoir les OGM. Au Mali, s’il existe quelques groupes qui financent la recherche sur les OGM, il n’existe en revanche pas d’autorisation gouvernementale qui permette la réalisation d’études en plein champ. " Le Mali réunit des conditions politiques propices à l’organisation d’un tel débat : liberté d’expression, de rassemblement, de la presse et décentralisation. L’existence de médias et notamment de radios libres a permis à près de 800 000 personnes d’être tenues informées de la teneur des débats et des recommandations du jury ", analyse Michel Pimbert.
38 % de femmes.
" Combiner l’Ecid communal avec une méthodologie de jury citoyen a nécessité des adaptations pour garantir la qualité du processus. Sous sa forme communale, l’Ecid ne prévoyait, par exemple, pas de délibération, ni d’interpellation d’experts, mais une interpellation des autorités
locales ", explique Michel Pimbert. La seconde adaptation a porté sur la nécessité d’assurer une représentation équitable dans la sélection des participants, avec la présence de petits producteurs et une plus grande représentation de femmes. " Elles représentaient 38 % du panel de citoyens, alors que dans l’Ecid traditionnel, la participation est majoritairement masculine ", constate Michel Pimbert. Un comité d’observateurs a également été mis en place, afin de garantir la transparence et l’équité du processus. Le choix des témoins-experts a été effectué en fonction des différents thèmes de préoccupation des producteurs. " Monsanto s’est fait représenter par des agriculteurs partenaires, alors que Syngenta n’a pas voulu s’impliquer dans un processus qu’elle ne pouvait pas contrôler ", précise Michel Pimbert. Chaque témoin expert a effectué une présentation, suivie par les questions des producteurs. Les quatre commissions formées dès le début de l’Ecid (gros producteurs, producteurs moyens, petits producteurs et groupe des femmes) ont délibéré toute la journée du 28 janvier, selon des règles qu’elles avaient elles-mêmes établies.
Le gouvernement conforté.
Le 29 janvier, les recommandations du jury citoyen ont été validées, et transmises à l’assemblée régionale de Sikasso. " Ce qui importe, c’est moins le verdict que l’analyse que se font les producteurs de cette technologie et de ses conséquences pour la société ", insiste Michel Pimbert. Parmi les propositions les plus fortes, on peut relever le critère d’équité invoqué par les gros paysans : " Considérant qu’au Mali, le nombre de petits producteurs est de 98 % et que la technique (OGM) n’est viable qu’avec les grands producteurs, par conséquent, cette technologie ne doit pas être introduite. " Michel Pimbert estime que " le côté combatif des femmes, qui menacent de brûler les champs porteurs d’expérimentations illicites, mais aussi leur aspect constructif à travers leur désir de valoriser l’agriculture locale, a été absolument remarquable ". Des recommandations qui confortent le gouvernement dans sa décision de ne pas introduire d’OGM. Cette expérience est aussi une façon de montrer au gouvernement le type de participation citoyenne que l’on peut mettre en place dans le cadre du protocole de Carthagène sur la biodiversité, dont le Mali est signataire. Le projet de loi qui découle du protocole prévoit en effet l’organisation, au niveau national, de procédures de participation du public avant toute introduction d’OGM. " Nous sommes aujourd’hui dans une phase de diffusion de l’information. Un film de soixante minutes, Paroles de paysans, est aujourd’hui disponible et peut être utilisé par les acteurs pour organiser localement des débats et restituer le processus et son issue ", explique Michel Pimbert. " Nous avons amorcé un processus générateur de solidarités et de résistances qui peut aboutir à la construction d’un contre-pouvoir, si les acteurs locaux le souhaitent. " Sabrina Costanzo
1 L'Espace citoyen d'interpellation démocratique sur les OGM en relation avec l'agriculture du Mali a été organisé par l'assemblée régionale de Sikasso avec l'appui conceptuel et méthodologique de l'Institut international pour l'environnement et le développement (IIED) ainsi que du Réseau interdisciplinaire de biosécurité (RIBios). www.iied.org
À lire : " Un jury citoyen sur les OGM au Mali ", Transrural initiatives n° 311
09:00 Publié dans Actualités | Lien permanent | Commentaires (0)
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